Manuel de communication-guérilla

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Ce livre repose sur un paradoxe : il présente de manière rigoureuse une théorie visant non seulement à fonder une pratique subversive, mais aussi à provoquer de la joie et du plaisir. Les auteurs en ont plus qu’assez du sectarisme de la littérature militante et du dogme selon lequel, lorsqu’on est de gauche, on peut certes conspuer les guignols qui nous gouvernent, mais à la condition de porter ostensiblement tout le malheur et toute l’injustice du monde sur ses frêles épaules. Nous refusons une pratique politique qui ne se légitime que par sa capacité à bâtir des abstractions et des postures sentencieuses. Notre allergie est peut-être excessive ou injuste, mais au moins s’affirme-t-elle en connaissance de cause : la mauvaise conscience qu’il convient de s’infliger pour avoir préféré faire la fête deux nuits d’affilée plutôt que de plancher sur une énième théorie de l’aliénation, cette fichue éthique protestante du travail qui nous impose de blêmir devant notre écran d’ordinateur plutôt que de défier le trou de la couche d’ozone en allant bronzer à la piscine, cette manie de tout devoir juger à l’aune de notre bienséance idéologique – tout ça, nous connaissons par cœur.

« Il ne peut y avoir de vraie vie dans un monde qui ne l’est pas », disait Adorno. Pourtant, nombre d’entre nous souhaitent vivre une vie qui rivalise avec les modèles imposés et qui dispose de son propre pouvoir d’attraction. La communication-guérilla constitue un moyen de relever ce défi.

Analyser, structurer, forger des concepts, concevoir des méthodes et des techniques – cette petite mécanique peut ôter leur magie aux plus belles actions. C’est la raison pour laquelle nous essaierons de ne pas réduire les faits relatés dans ce livre à de petits produits théoriques déshydratés. Rien ne serait plus contraire à notre propos que d’en faire une règle à suivre ou un corset à enfiler. Nous voulons laisser leur chance aux pratiques personnelles du lecteur, à ses désirs incontrôlables et à son bon plaisir. Si les propositions contenues dans ce livre n’ont pas vocation à faire l’unanimité, elles n’en constituent pas moins une boîte à outils dans laquelle le lecteur peut piocher à sa guise les mots, images et métaphores qui lui permettront de réfléchir à sa propre expérience et d’étendre son propre champ d’action. Car ce n’est que sur le terrain de la pratique que peut éclore une théorie opérationnelle de la subversion.